« Alors je resterai qui je suis » : un Don Juan de la débâcle

Don Juan revient de la guerre

Don Juan

(c) André Muller

Dépeindre « un Don Juan de notre époque », c’est l’ambition d’Ödön von Horváth quand il écrit « Don Juan revient de la guerre ». Un Don Juan d’une « nouvelle époque », celle de la débâcle. Une Allemagne des décombres.

Avec des moyens simples, Guy-Pierre Couleau, qui signe ici la mise en scène et la scénographie, donne chair à ces lieux qui ne sont plus tout à fait ceux d’avant, et où il faut malgré tout continuer à vivre : cabarets, chambres des logeuses, rues interlopes d’une ville dévastée. Les personnages s’y débattent sous des lumières artificielles qui disent avec justesse ce monde instable.

« Alors je resterai qui je suis », finit par admettre Don Juan. Il est venu buter contre la guerre, contre l’horreur du front. Il en revient « sonné », plus tout à fait le même et prêt à s’attacher à celle de ses conquêtes qu’il croit avoir aimée. Mais la guerre a aussi changé ce monde qu’il regagne et qui ne lui offre aucune prise pour incarner cette révolution intime.

Dans les scènes où ils n’interviennent pas, les acteurs délaissent les coulisses au profit d’une chaise posée au bord du plateau où ils regardent leurs compagnons de jeu se débattre. S’extraire du tourbillon et observer. Regarder un instant, ahuri, ce nouveau terrain de jeu.

Deux actrices pour incarner 35 femmes dans lesquelles Don Juan va s’étourdir et tenter de rattraper un peu de celle qu’il aime. Une économie de moyens sans doute, mais surtout un parti pris de densité. Dans ce tourbillon de corps et de visages, Don Juan, halluciné, ne voit qu’une femme. Être une et les incarner toutes : un défi de mise en scène et d’interprétation. Il y a ici le plaisir du jeu et de la performance, qui fait écho aux conquêtes en forme d’exercice et de challenge du Don Juan légendaire que l’on connaît mieux. Il y a aussi ce ricanement froid d’un monde gâché où l’on s’obstine, parce qu’il le faut bien, à rire et à jouer.