Délaissant, une fois n’est pas coutume, le plateau pour mieux l’offrir à ses interprètes, la danseuse et chorégraphe Vania Vaneau propose, avec « Heliosfera », une éblouissante traversée cosmique en lumières saturées, d’une belle intelligence de plateau.
On emprunte ce titre à Manset comme un palimpseste de celui de Vania Vaneau — car son spectacle à la frontière du science-fictionnel, tout comme les chansons du compositeur, déploie aussi une poésie cryptique, dont les codes savants nous échappent dès le début. Sur le plateau d’« Heliosfera », un monde blanc (tapis de danse, accessoires, diodes) mais bientôt et continument rehaussé par les lumières hallucinantes de Abigaïl Fowler et sa palette de couleurs à la richesse téméraire : c’est dire, tout le spectre y passe… Pour une raison simple : la lumière est le centre esthétique et dramatique d’ « Heliosfera ». En effet, les quatre danseurs, cobayes et démiurges d’un monde en couleurs qu’ils inventent et subissent en même temps, changent tour à tour les filtres des découpes, jouent avec des lampes de poche LED, voire avec la réflexion d’un laser bleu : la lumière est trop riche pour ne pas être un accélérateur de jeu, au deux sens du terme… Car dans ce ce monde immaculé, les quatre corps, venus sacs à l’épaule sur le plateau et arrêtant leur randonnée cosmique pour être bariolés, jouent autant qu’ils sont joués : quelles conséquences émotionnelles d’un changement de spectre ; comportementales d’une lumière de crépuscule ; organiques d’un bras rouge, d’un dos blanc ? Le spectacle se déplie dans une série d’expérimentations d’une délicatesse jamais didactique et d’une cohérence à la fois secrète et évidente, tellement la partition lumineuse couplée à la musique renversante de Nico Devos et Pénélope Michel composent un monde où la dramaturgie jouit de la sensation.
Paradoxalement, la danse est presque en retrait dans « Heliosfera », au sens où l’impact du cosmos co-créé par Vania Vaneau et ses créateurs et créatrices (lumières, son, scénographie) est d’ordre esthésique : la chorégraphie est élément parmi d’autres, pas plus. On sait gré à la chorégraphe de prendre le risque, dans une œuvre à l’ambition transversale, de laisser à la danse le soin d’exister comme un médium parmi d’autres, d’autant qu’elle se manifeste souvent avec une grande beauté (i.e. le solo presque alien de Thi-Mai Nguyen). Est-ce trop de regretter que, tout de même, le langage chorégraphique qu’elle maîtrise pourtant à la perfection ne travaille pas plus étroitement avec la lumière ? Comment la lumière l’affecte-t-elle, au sens émotif du terme ? De notre côté, les expérimentations plastiques d’accessoires (ni de la lumière, ni de la danse donc) qui s’y substituent ont parfois semblé superfétatoires… Il faut bien concéder pourtant qu’elles permettent aux danseurs de faciliter leur devenir-autre, dont on trouve autant de stigmates dans la chorégraphie (les fameuses paumes ouvertes placées devant les yeux) que dans les costumes science-fictionnels voire xénomorphes qu’ils assemblent et grâce auxquels les visages disparaissent : c’est bien le signe d’une réussite, quant un problème est anticipé et résorbé par de la dramaturgie. Porteurs de lumière et aveugles qu’ils sont, les quatre interprètes aux plateau éblouissent donc en indifférenciant macrocosme (éclipses solaires, aurores boréales) et microcosme (jeux d’enfants, déguisements, poussières phosphorescentes) dans un spectacle à l’habilité esthésique tout à fait vivifiante.