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Headbang ballet - I/O Gazette
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© Nora Houguenade

Ancien danseur de (LA)HORDE et finaliste du concours Danse élargie en 2022, le chorégraphe lituanien Dovydas Strimaitis déroule une version à quatre danseurs de son spectacle « Hairy » qui, malgré l’intérêt socio-artistique de son motif éponyme, les cheveux, peine parfois à tenir la durée chorégraphique.

Le titre l’indique, « Hairy » imagine une chorégraphie à partir des cheveux des interprètes, ceux-ci guidant la danse et emportant le reste du corps. Le cou d’abord : ainsi de la première danseuse se lançant dans l’exercice périlleux du headbang sur de la musique techno minimale (plutôt que sur du métal, auquel on associe plus volontiers la pratique aujourd’hui). Rejointe dans une pénombre savamment aménagée par trois camarades aux tignasses tout aussi opulentes, le headbang, poussé au paroxysme de la virtuosité, s’éloigne cela dit du concert de musique extrême pour devenir un élégant ballet de cheveux dans lequel l’obsession personnelle se fond dans une harmonie de groupe, presque alien à nos yeux. Car les combinaisons moulantes et brillantes en latex, qui étrangéifient les corps bien plus qu’elles ne les érotisent, donnent peu à peu l’air d’un rituel sibyllin dans lequel la torsion du cou doit être exécutée à l’extrême, au bord de la brisure… Jusqu’à ce que ce cou emmène les corps à terre avec lui : ceux-ci roulent à présent avant de reprendre, hiératiques, leur position initiale, densifiant enfin le langage chorégraphique et avant que, dans un ultime mouvement à l’innovation musicale plus que chorégraphique, les tombées de corps se poursuivent tandis que le rythme, lui, se dissout brutalement sur des variations pour violoncelle de Bach. Saisissant contraste, qui enrichit tout autant qu’il décale le rituel des danseurs-créatures.

C’est dommage qu’en regard d’une grande finesse d’exécution, « Hairy » pêche un peu par excès de formalisme, car l’effet de répétition du headbang, s’il est impressionnant performativement (on craint pour les danseurs) et pertinent dramaturgiquement (c’est par nature une pratique obsédante), s’épuise avant son terme. C’est presque comme si tout venait un chouïa trop tard : le passage du solo à la résonance de groupe, celui de la musique minimale à la musique classique, d’autant que les retours fugaces au solo, délicatement éclairés par Lisa M.Barry, ne proposent pas de nouvelle physicalité : on a parfois le sentiment qu’ils servent plutôt à reposer le reste du groupe. Peut-être que cette répétition exagérée envers le pattern du headbang lui-même – quitte à oublier ce qu’il ouvre comme possibilités -, sous-tend une trop grande rectitude chorégraphique : c’est le risque du thème qui, en restreignant le corps au profit des cheveux seuls, est captif du formalisme, sous couvert de le défendre. En réalité, on aurait pu imaginer un développement plus audacieux et libératoire des corps à partir desdits cheveux, comme le ballet des corps chutant et se relevant le promettait d’ailleurs avec brio. C’est dommage car le motif des cheveux dansants, tout aussi vivifiant artistiquement que politiquement pour un spectacle -, reste tout de même habité par quatre corps virtuoses et habilement dirigés, mais qu’on aurait seulement aimés moins contraints.

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