Des gradins déposés sur le plateau du Sadler’s Wells de Londres ont transformé l’espace en quadrifrontal. Le dispositif accentue l’intimité et la brutalité du spectacle. Sur scène, six danseur.euses en tenues d’entraînement sportif alternant solos, duos, trios et formations de groupe, avec une énergie ininterrompue.
Chaque geste est exécuté avec une intensité remarquable, comme s’il s’agissait d’une question de vie ou de mort. Aucune demi-mesure. Les mouvements s’enchaînent à un rythme effréné, défiant les limites physiques de chacun des interprètes, qui semblent déterminés à surmonter la fatigue et la douleur. Pas de musique, uniquement le son des baskets frappant le sol, des respirations haletantes, des râles de fatigue, et des encouragements lancés d’un danseur à l’autre : “You got this », « I know”. La sonorité naturelle de la chorégraphie s’explique par l’influence des claquettes et du hoofing, avec lesquels la chorégraphe Abby Zbikowski a entamé sa formation.
L’Américaine puise également dans une autre tradition: la Modern Dance. Les mouvements ne sont pas faits pour plaire, mais pour être effectués tels des tâches. Cependant, contrairement aux années 1970 de New York, les mouvements ne sont pas exactement faciles à accomplir, l’antiélitisme se trouve ailleurs. Elles ne nécessitent pas un corps normé, mais plutôt du courage, de l’envie et de l’énergie. Zbikowski semble départir la danse contemporaine de ses codes bourgeois pour l’ancrer dans une éthique presque working class. Pas de contrôle, pas de raffinement inutile : une généreuse démonstration de force, de courage, et d’effort physique.
Cette chorégraphie porte alors une dimension politique forte. Pour la première fois, on se dit que l’on voit un spectacle de danse « de gauche ». Les corps ne sont pas esthétisés et ils viennent littéralement pour s’approprier l’espace. Il y a une jouissance, un empowerment, une réappropriation de sa propre force qui n’est plus alors force de travail exploitée. Une recherche purement physique s’impose, bien plus qu’une quête esthétique. Zbikowski, venant elle-même d’un milieu working class, est passé par les petits jobs très physiques avant de devenir chorégraphe, et cela se ressent dans sa manière d’appréhender la danse. Elle dit : “Tu ne peux pas avoir peur d’être épuisée pour danser ça”. Ce qu’elle propose ici, c’est une revalorisation de l’hyperphysicalité, une exploration du corps qui sort des cadres hiérarchiques et oppressifs, que ce soit ceux de l’armée ou du capital.
Les interprètes se lancent des encouragements, comme lors d’un entraînement sportif. “Yes, move that space”, crie un interprète à un autre. Ce n’est pas seulement de la danse. C’est un corps politique en mouvement, une démonstration de force collective, un espace de libération. Finalement, Zbikowski ne nous offre pas une simple chorégraphie. Elle propose un entraînement à la résistance, un acte de réappropriation du corps dans toute sa puissance et son imperfection. “Radioactive Practice is an exhibition demonstrating the infinite ways in which fully dimensional people […] can assemble, disassemble, reassemble, and labour furiously through space and time to find new potentials in their bodies.” (Abby Z)