Rengaine humaniste

TRANS (més enllà)

© Christophe Raynaud de Lage

Didier Ruiz continue sa série de théâtre documentaire, fondée sur une écriture participative, en abordant cette fois-ci la question de la transsexualité. Sur scène, l’aménagement minimaliste cherche à mettre en valeur les témoignages de sept personnes ayant achevé ou entamé leur chemin pour métamorphoser leurs corps et vivre en société sous une identité nouvelle. Leur parole, fragmentée à la manière d’une collection de portraits, est transmise tour à tour avec fluidité. Certaines bribes de récit bouleversantes s’entrecoupent avec des histoires plus simples, et le quotidien se mêle avec l’extraordinaire de leur condition. Mais une question – ancestrale – demeure : dans quelle mesure le théâtre procède-t-il à une mise en scène de la réalité ? Didier Ruiz prétend mettre à jour des vérités simples et sensibles ; pourtant, son geste est tout sauf inoffensif. Son propre discours se superpose à celui de ses acteurs et impose une rengaine moralisatrice dont la mélodie politiquement correcte dénonce à gros traits l’intolérance généralisée du monde.

Dans le public, pourtant, Ruiz ne fait que prêcher des convaincus. Son propos se perd dans certaines facilités et s’enfonce dans un pathos qui exhorte à un humanisme – que personne ne conteste – tout en évitant soigneusement d’autres sujets. Changements de lumière dramatiques, animations de fleurs et musique d’ascenseur enrobent le fil narratif, tissé par les témoignages, d’une bien consciencieuse manière. C’est précisément lorsque les acteurs expriment leurs idées ou sentiments les plus complexes – et, sans doute, les plus controversés – que leur parole s’interrompt, comme au bord d’un gouffre indicible. Sans tomber dans le voyeurisme, on aimerait simplement mieux comprendre ce rapport si particulier au corps qu’impose la modification partielle de l’enveloppe charnelle dans laquelle nous sommes nés. Des glissements de sens opèrent, invisibles, entre des faux synonymes lancés çà et là : corps biologiques, expression sociale du genre, sexe et sexualité. Après tout, le théâtre n’est-il pas le lieu où la confusion, sous couvert de poésie, peut être portée au pinacle ?