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Dès l’entrée en salle, ce qui frappe instantanément, c’est le gril, lourdement chargé de Fresnels, descendu à mi-hauteur. Cette configuration crée une sensation de rétrécissement, de compression de l’espace.
Ce choix scénique trouve rapidement sa justification : une femme fait son entrée, traînant au sol le corps inerte d’une autre. Si l’on ne reconnaît pas immédiatement la chorégraphe portugaise Diana Niepce, la lecture du programme nous éclaire : ce corps, apparemment inanimé, est celui de l’artiste en situation de handicap. L’acte de la traîner ainsi nous confronte à la matérialité brute du corps : chair et os exposés sans artifice.
La première partie s’amorce sans musique, servant le mouvement cru. La danseuse explore les limites de son corps, ses possibilités et ses impossibilités, sans chercher à nous épargner la difficulté ou la douleur. Ce corps nous rappelle la condition universelle de tout corps : contraint par la force, la souplesse, l’âge, la blessure, la douleur, la peur, l’embarras ou encore l’environnement. Que signifie danser quand le mouvement d’un membre ne peut être initié que par l’effort d’un autre ? La danseuse déplace ses jambes avec l’aide de ses bras. On retrouve ainsi une essence de la danse : la joie simple de parvenir à réaliser un geste. Le travail.
La présence physique du corps parle déjà d’elle-même, et les expressions faciales un peu narratives pourraient être plus retenues. Mais peut-être y a-t-il, pour l’artiste, un besoin d’appropriation de son histoire, une forme d’empowerment qui s’exprime ici. Cette première partie est sombre. Elle est grinçante. On y perçoit des traces de sa formation classique, antérieure à son accident de trapèze. La danseuse retire lentement son haut. Ce geste, difficile, prend un sens à la fois réel et symbolique : la difficulté de se dénuder, de s’exposer.
Soudain, le gril s’élève, révélant toute la hauteur du Queen Elizabeth Hall du Southbank Center de Londres, comme une grande respiration qui libère l’espace, rouvre la cage thoracique du théâtre et laisse l’artiste reprendre son souffle. Cette libération marque le début de la seconde partie du spectacle. Au centre de la scène, jusque-là ignorée, se dresse une balance acrobatique. La danseuse est harnachée à une extrémité par ses assistants, et bientôt, elle s’élève dans les airs, telle une figure christique sacrifiée sur l’autel de la scène, ce lieu de sa chute mais aussi de sa gloire. Cette élévation est toutefois nuancée : bien que dans les airs, elle reste tenue par un assistant qui contrôle la structure. C’est une libération dépendante. Avec une maîtrise minimaliste, l’artiste parvient à poser les enjeux complexes de son expérience.