
DR
Ça commence comme un spectacle belge des années 2000, avec un humour en creux, des acteurs qui parlent bas et l’absurdité rieuse qui s’installe à leurs dépens. Mais ce serait une erreur de cantonner ce « Poil de carotte » à un spectacle drôle et méta sur le théâtre et ses vicissitudes. Très vite, le malaise gagne et la relation qui s’installe sur le plateau entre un acteur complaisant puis maltraitant et son ami, un acteur dans le doute qui cherche simplement à créer une forme théâtrale, devient castratrice. Les conseils se transforment en reproches puis en insultes, le dominant lacère le dominé de phrases blessantes. Le rire dans la salle devient jaune, l’écriture – très réussie – fait son œuvre et nous laisse un goût gênant de déjà-vu. Une fois l’ami toxique parti, on assiste à l’envers du décor et à une tentative fragile de justifier sa position d’humilié. La parole blessée accepte l’humiliation pour l’amour du théâtre. Quid de Poil de carotte ? La figure mythique de Jules Renard plane sur cette mise en scène, apparaît en morceaux – une perruque rousse délaissée sous une chaise – puis s’incarne dans une curieuse scène finale marionnettique qui vire au cauchemar. Souvent, dans le théâtre contemporain, les acteurs interrogent leur art non pas seulement dramaturgiquement mais aussi dans ses us et coutumes, ses clichés, ses rapports de force. En singeant adroitement tous les vices de ce milieu, Flavien Bellec et Étienne Blanc font un état des lieux peu glorieux de ses névroses pour les exorciser. Après tout, il faut bien connaître son ennemi. Difficile de savoir si un public plus extérieur au métier peut y trouver son compte, mais saluons une audace salutaire d’expurger ses démons collectivement, et par le rire. En revanche, annoncer ce spectacle accessible à partir de 10 ans paraît totalement inopportun, le titre et le visuel faussement enfantins pourraient alors prêter à confusion. Ceci n’est pas un spectacle pour enfants mais une charge amère sur les arcanes de la fabrication du théâtre en 2024.