
© Bea Borgers
Si le skatepark éponyme est matérialisé et délimité scéniquement par des grilles en fer, des tôles et des plateformes à effets de réel, son référent essentiel s’apparente plutôt à cet espace constamment mouvant, défini par les performeurs aux trajectoires toutes en boucles, ondulations, sauts.
Et avant eux, dès notre entrée dans la salle, par des jeunes skateuses et skateurs locaux, manière un peu lourde de surimprimer réel et fiction, d’inscrire l’une dans les sillons tracés par l’autre. Nul besoin de cette explicitation. Car tout l’enjeu réside bien dans ce tissu d’énergie punk, composé de profils aussi hétérogènes que les rythmes de la partition musicale, dans ce milieu organique aux lumières néon de club à ciel ouvert, défini ainsi comme écosystème social.
C’est là que ça fonctionne. Précisément, peut-être, parce que Mette Ingvartsen refuse dans ces instants une dominance auctoriale, elle laisse être, advenir, ce qui crée un espace de rencontre possible entre ces corps désirants et les nôtres. L’attention envers la persistance du mouvement rend ce dernier déconcertant, étrange. Si ces skateurs-danseurs intranquilles nous attirent, ce n’est pas tant par leur virtuosité (ce qui confinerait à une certaine anesthésie), mais par ce qui motive leur action, soit l’impulsion – tel l’élan de l’un suscité par un autre. Ou bien par ce qui la transcende, en tissant des relations, en ouvrant des récits possibles, en organisant un monde, un « être-en-commun » (Jean-Luc Nancy) avec ses codes universellement partageables.
L’effet retombe quelque peu avec l’intervention soudainement explicite de la metteuse en scène, par un geste de séquençage dramatique trop contrastant au regard de la ride en liberté – certes pensée, on s’en doute – et autosuffisante d’alors. Quoique le tableau nocturne, sur la version fredonnée de « A Real Hero » (dans la B.O de « Drive »), emporte par son onirisme, sa valeur de « pause » avant la rave débridée et anarchique – plutôt attendue dans son propos et son esthétique, mais à l’énergie indéniable – se fait sentir.
Sans ce regret, cette mise en scène de l’espace public parvient à « convoquer le réel », dirait Éric Lacascade, pour mieux le creuser. L’observation du chorégraphique dans le skating n’est pas une fin en soi : cette analogie sert la mise en évidence d’un processus, elle devient une matrice active, questionnant, dans l’ici et maintenant, la relation entre mouvement particulier et action commune. Peut-être Mette Ingvartsen aurait-elle pu faire encore davantage confiance à ce parti pris dramaturgique.