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Voilà une forme théâtrale qui se dépasse elle-même. Si c’est la performance que l’on peut voir à Avignon, on sent toutes les formes antérieures et futures que ce projet fermentent, rituel sans âge qui s’adresse, à travers nos corps, à toutes les générations que nous portons en nous.

Tamara Cubas choisit comme figure tutélaire la femme de Loth, Edith, qui, alors qu’elle fuyait Sodome en feu, se retourne vers sa ville et se transforme en statut de sel. Utilisée depuis comme une métaphore, cette malédiction biblique condamne ceux qui quittent leur terre à aller de l’avant sous peine d’être figés pour toujours au milieu de nulle part. Les racines que l’on revendiquent ici ne sont pas souterraines, elles trônent, suspendues au centre la scène comme un totem à ne pas perdre de vue lors des grandes traversées.

En donnant la parole à sept femmes de langues et de peuples différents, c’est toute l’histoire de la migration qui se déroule sous nos yeux, une histoire en lambeaux qui se raconte dans les souffles et dans les cris, une histoire sensible que l’on doit souvent réécrire, se réapproprier, une histoire trahie qui a laissé des traces et que toutes tentent de reconstruire. Pas de pathos, mais une parade ininterrompue de corps qui se redressent. Pour communier avec elles, il faut se laisser happer par la transe ; les pas heurtés dans cette mer de sel qui recouvre le plateau impose un nouveau rythme cardiaque à la communauté réunie, l’envoûtement opère grâce à un subtil travail sur les ondulations des voix : « Je voudrais la permission de porter le vêtement de mes ancêtres », clament-elles, encore marquées par le sort de celles qui désobéissent. La forme tribale est un exorcisme à l’immobilité, un rempart à la peur et un éclat face à la honte.

Ce chœur qui parfois ressemble à une masse fluide et insaisissable s’applique à laisser aux individualités un espace d’expression de sorte que l’on perçoit à la fois une harmonie et des dissonances. L’heureux public du festival d’Avignon se retrouve ainsi le dépositaire de ces nouveaux récits, fragiles, pétris de douleurs, de rage guerrière et d’espoirs passagers.