Try a little tenderness

Hécube, pas Hécube

(c) Christophe Raynaud de Lage / coll. Comédie-Française

Tragédie dans la tragédie, théâtre dans le théâtre, « Hécube, pas Hécube » poursuit avec une grande élégance – et non sans humour – le travail poético-structuraliste que Tiago Rodrigues explore depuis dix ans, notamment avec « Antoine et Cléopâtre » et « The Way She Dies ».

Alors qu’elle répète la pièce d’Euripide, une comédienne, Nadia Roger (Elsa Lepoivre), doit faire face à la procédure qu’elle mène en justice pour faire reconnaître la maltraitance du centre d’accueil sur son enfant autiste, fan d’Otis Redding dont la musique est le liant sensoriel du spectacle. Bientôt, « elle ne joue pas Hécube, elle joue une actrice qui fait semblant de jouer Hécube », c’est-à-dire ce personnage-avatar de la douleur des mères. Alors s’accentue la porosité entre les mondes, se nouent les liens d’intrication entre le texte et le hors-texte, tandis que Nadia s’identifie peu à peu à l’héroïne tragique transfigurée, chez Euripide, en chienne – en aboyeuse de souffrance et de vérité. Et « Hécube, pas Hécube » souligne l’ambiguïté de l’État à l’égard de cette souffrance, doublement incarnée par Denis Podalydès en Agamemnon et en procureur de la République.

La mise en abyme n’est jamais aussi forte qu’au théâtre et au cinéma, comme si l’autoréflexivité était décuplée par son incarnation. Dans la tragédie grecque, à commencer par Euripide, c’est parfois le rêve qui joue le rôle d’une dimension alternative du réel vouée à ébranler l’imagination du spectateur. Ici, c’est le travail théâtral lui-même (la « répétition », comme récemment au cinéma dans le « Drive My Car » d’Hamaguchi) qui joue le rôle de cet espace-temps en miroir venant percuter les protagonistes – non sans un certain didactisme dramaturgique qui fait s’essouffler quelque peu, dans la seconde moitié, l’intention d’« Hécube, pas Hécube ». Au cours de la répétition, à aucun moment il ne sera question d’un metteur en scène, laissant les acteurs livrés à eux-mêmes, en attente de décisions qu’ils ne prendront jamais, comme si la pièce devait se dérouler malgré eux : faudra-t-il entrer par cour ou jardin ? Quid des figurants pour les enfants morts ?

Affectionnant les dispositifs scéniques minimalistes, Tiago Rodrigues a toujours eu une confiance absolue en la parole. Non pas qu’elle ne puisse trahir le sens véritable des choses, mais parce que c’est son lieu de partage et de questionnement, et la force du théâtre est de l’intensifier dans le présent. Ce n’est donc pas un hasard si l’histoire d’une comédienne ayant un fils autiste – souvenir des répétitions suisses du spectacle « Dans la mesure de l’impossible » – l’a autant marqué : l’autisme est l’empêchement tragique de la parole. Comment, dès lors, sortir de l’implacable cercle de « la douleur succède à la douleur qui succède à la douleur » ? Pour Hécube : par la justice et la vengeance. Mais devant le gigantisme minéral de la carrière de Boulbon, qui semble imposer l’inexorable fatum de la volonté des dieux, il faut aussi d’abord parler pour ceux qui ne peuvent pas le faire.