Troisième « Amante anglaise » de la saison – côtoyant celle de Jacques Oskinski et celle de Julien Gosselin (inscrite dans son « Musée Duras ») – la mise en scène d’Émilie Charriot confirme une passion récente pour cette œuvre au titre trompeusement “durassien“.
Adepte de dispositifs minimaux investis par de mythiques interprètes, Émilie Charriot trouve apparemment les trois acteur·rice·s idéaux pour investir la partition en deux temps mais en réalité tripartite de « L’Amante anglaise » ; car celle-ci joue en fait de la collision entre trois régimes de parole et de jeu. Le haut verbe distancié de Nicolas Bouchaud se prêterait formidablement à la rigueur joueuse de l’interrogateur ; l’ancrage brut et étrange de Laurent Poitrenaux incarnerait autant le bon sens que les troubles de Pierre Lannes ; tandis que le visage doucement tragique de Dominique Reymond donnerait à la criminelle le masque métaphysique de la Mort ordinaire.
Mais les évidences distributionnelles sont elles aussi trompeuses, non pas parce que la rencontre entre les trois interprètes n’a pas lieu mais parce qu’elle semble se suffire ici à elle-même. Si cette « Amante anglaise » a pour beau mérite de ne pas choisir entre les registres potentiels de l’écriture, son apparente radicalité esthétique (offrant aux lumières d’Yves Godin des événements aussi rares que magnifiques) paraît sublimer un manque de directive dramaturgique. Les trois interprètes virtuoses paraissent trop livré·e·s à leur savoir faire, trop installé·e·s dans une écriture qui appelle pourtant l’inquiétude et dans un geste qui hésite, sans faire grand chose de cette ambiguïté, entre un formalisme ludique et des résidus d’incarnation. Et qui, sous prétexte de raconter non pas les ténèbres mais la transparence du mal, attrape le drame profond et les visions obsédantes de la pièce d’une manière trop lâche.