Rencontre avec Amari

Le Festival d’Avignon travaille depuis vingt ans avec le centre pénitentiaire Avignon-Le Pontet. Depuis 2023, Tiago Rodrigues poursuit les ateliers de théâtre lancés par Olivier Py avec Enzo Verdet, à la demande des détenus. Rencontre au bord du plateau, juste après la représentation de « La Casa de Bernarda Alba », avec l’un des comédiens de la troupe éphémère et le metteur en scène.

Matthieu Mével : On vient de voir cette représentation ici pendant le Festival d’Avignon. Pourquoi avoir choisi cette pièce ?

Enzo Verdet : On joue souvent le jeu du thème du Festival, la langue invitée était l’espagnol. Et la première pièce qui m’est venue en tête, c’est « La Casa de Bernarda Alba ». Ce sont des femmes en Andalousie dans les années 1930 qui vont être enfermées pendant huit ans dans une maison pour un deuil. Forcément, quand c’est incarné par des comédiens détenus, ça prend une autre ampleur.

Comment avez-vous vécu cette incarnation féminine sur le plateau ?

Amari : On est des personnes qui à longueur de journée savent s’habituer. Vous pouvez nous mettre n’importe où dans le monde, on va savoir se débrouiller. Donc, du coup, pour nous, cette pièce de théâtre nous paraissait un jeu d’enfant. Après, je dis ça avec le recul, parce que sur le moment on disait pas ça. Maintenant qu’on a fait les efforts et qu’on voit le résultat extraordinaire…

Comment le théâtre est arrivé dans votre vie ?

Amari : Tout simplement. Il y a un an, un an et demi, je devais faire une pièce de théâtre avec Enzo. Comment ça s’appelait déjà ?

Enzo Verdet : « En attendant Godot ».

Amari : « En attendant Godot ». Malheureusement, j’étais pas très motivé. Pas moralement, juste pas trop motivé. Du coup, il y a eu des aménagements de peine et c’est ça qui m’a motivé. Je vais pas vous mentir, c’est le fait de sortir et de prouver que je peux accomplir un projet. Du coup, c’est arrivé comme ça, mais je connaissais le théâtre, j’avais envie d’en faire, mais il y avait cette timidité qui me bloquait. Le regard des gens. On vit dans un monde carcéral, ça veut dire que c’est pas toujours facile. Vous voyez ce que je veux dire ? De jouer un rôle devant nos codétenus et ensuite d’assumer les rôles de femmes. Voilà, je suis un homme et je fais ça. C’est compliqué, mais on assure. On a eu un bon public à l’intérieur de la prison. Toute la prison nous soutient et apprécie ce qu’on a fait. Pour l’année prochaine, il y a énormément de détenus qui ont de longues peines qui veulent continuer à travailler…

Dans votre monologue, vous êtes face au public et vous nous regardez dans les yeux. Comment c’est de voir deux cents ou trois cents personnes qui vous écoutent et vous regardent ?

Amari : Franchement, il y a même pas vingt minutes, j’étais tétanisé. J’avais la lèvre qui tremblait, les doigts momifiés et des fourmis de partout dans les doigts. Si j’avais pas eu le soutien d’Enzo, parce que c’est quelqu’un que j’admire énormément et que je porte sur mon cœur. Et je le dis pas parce qu’il est devant moi. C’est juste quelqu’un d’humain qui sait comprendre. Il ne va pas me voir comme un numéro d’écrou, je sens ses encouragements, sa motivation…

Il y a des acteurs timides qui disent que c’est sur scène qu’ils oublient leur timidité. Vous, vous vivez enfermé : est-ce que sur scène vous vivez quelque chose de plus libre ?

Amari : Évidemment, je me sens libre. Je me sens plus moi-même. En fait, il y a toute cette animosité au fond de moi qui ressort. Et je pense que le théâtre, c’est fait pour ça, c’est pour faire ressentir tout ce qu’on a au fond de nous : la colère, la tristesse, n’importe quand, n’importe quel rôle qu’on joue. On peut très bien jouer la joie, mais en étant triste au fond, en ressortant cette tristesse et la rendant comme de la joie. Et je pense que c’est ce qu’ils ont fait tous mes codétenus. La plupart, ils ont énormément de trucs dans la tête, si vous saviez. Et ils ont évacué cent fois. Franchement, c’était formidable, les applaudissements. C’est un triomphe…